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L’arrêt 6B_271/2022 du 11 mars 2024 et proposé à la publication est un arrêt du Tribunal fédéral très attendu notamment par les spécialistes en droit pénal économique puisqu’il tranche la question débattue en doctrine de savoir si l’obtention de crédits COVID-19 par des informations fausses (notamment en indiquant un faux chiffre d’affaires) constitue une escroquerie (art. 146 CP) ce malgré l’absence de vérifications des données par la banque (et l’absence de dommage à celle-ci).

I. De l’astuce

Dans un premier temps, le Tribunal fédéral aborde la question de l’existence d’une astuce. Il rappelle que, selon sa propre jurisprudence (not. ATF 107 IV 169 consid. 2c, réaffirmé récemment par l’arrêt 6B_383/2019 du 8 novembre 2019 consid. 6.5.4), il n’y a en principe pas de tromperie astucieuse lorsqu’une banque accorde des petits crédits uniquement sur la base des informations fournies par les demandeurs de crédit, sans exiger de pièces justificatives ni procéder à quelque contrôle que ce soit, dans le but de ne pas entraver l’acquisition de clients. Dans une telle constellation, en effet, une relation de confiance fait défaut, de sorte que, en principe, de fausses informations, qui peuvent être vérifiées, ne constituent pas une tromperie astucieuse, même si la pratique de la banque est connue de l’emprunteur potentiel, qui suppose donc l’absence de toute vérification de ses informations.

Le Tribunal fédéral considère toutefois que cette jurisprudence n’est pas transposable aux crédits COVID-19, qui ne peuvent être comparés à des prêts quelconques ; ces crédits étaient conçus comme des aides d’urgence, soumis à une procédure simplifiée et standardisée, qui reposaient essentiellement sur une auto-déclaration du demandeur de crédit (sorte de « prêts sur parole »). Bien que le demandeur se limite en règle générale à fournir de fausses informations, leur vérification, non seulement n’était pas prévue mais n’était même pas raisonnablement exigible (sauf à compromettre l’objectif poursuivi par les crédits COVID-19 conçus comme une aide d’urgence), voire parfois même impossible.

De plus, ce n’est pas par opportunisme ou pour une politique d’acquisition de clients, ni sur la base de considérations financières ou de rentabilité que la banque ne procédait pas au contrôle des informations fournies par le demandeur, mais pour fournir ce soutien rapide et sans obstacles rendu nécessaire par les événements ; seule une procédure de délivrance simplifiée au maximum et basée sur une auto-déclaration pouvait garantir aux entreprises luttant pour leur survie de l’obtenir. Les possibilités d’autodéfense de la victime de la tromperie étaient donc impraticables étant donné les circonstances, ce dont profitait le demandeur frauduleux. Par ailleurs dans la mesure où, en signant le formulaire, le demandeur confirmait prendre acte que la fourniture d’informations fausses ou incomplètes le rendrait poursuivable pénalement et exonérait les détenteurs des différents secrets de leur maintien et autorisait l’échange de données, le demandeur créait l’impression de n’avoir rien à craindre des contrôles ultérieurs.

II. Du dommage

Dans un second temps, le Tribunal fédéral aborde la question de l’existence d’un dommage. Il rappelle sa jurisprudence (not. arrêt 6B_54/2019 du 3 mai 2019 consid. 3.4), selon laquelle il est nécessaire que la dupe effectue un acte de disposition préjudiciable à son propre patrimoine ou à celui d’autrui, pourvu que dans ce cas elle soit responsable du patrimoine du lésé et ait sur ce patrimoine un pouvoir de disposition au moins de fait. Un dommage existe si, à la suite de l’acte de disposition motivé par l’erreur dans laquelle est tirée la personne trompée, la valeur globale du patrimoine du lésé se réduit effectivement. Un dommage peut résulter d’une diminution des actifs, d’une augmentation des passifs, d’une absence de diminution des passifs, ou encore d’une mise en danger du patrimoine diminuant sa valeur économique ; un dommage temporaire ou provisoire est suffisant.

Selon le Tribunal fédéral, dans le contexte des crédits COVID-19, en accordant un crédit sur la base de fausses informations, la banque commet un acte de disposition patrimoniale sans pour autant subir un dommage, car sa créance de remboursement est entièrement garantie par une caution solidaire. Cependant, la caution peut subir un dommage, au moins sous forme de mise en danger du patrimoine, étant garante pour la satisfaction de la dette contractée par le demandeur et risquant donc l’exécution de la caution solidaire. L’obtention illicite de crédits COVID-19 constitue ainsi une sorte de fraude triangulaire (voir ATF 133 IV 171 consid. 4.3), où la banque, bien qu’étant l’interlocutrice directe du demandeur et co-réceptrice des fausses informations, a effectivement le pouvoir de lier la caution et dispose donc d’un pouvoir de disposition de fait sur le patrimoine de cette dernière. Le dommage se produisant au moment de la conclusion du contrat, peu importe que le crédit COVID-19 soit par la suite effectivement remboursé.

III. Conclusion

Selon le Tribunal fédéral, dans le cadre des crédits COVID-19, compte tenu des particularités de la situation et du mécanisme mis en place pour y faire face, même de fausses informations constituent une tromperie astucieuse au sens de l’art. 146 CP (indépendamment de l’existence éventuelle d’une relation de confiance entre le demandeur et la banque accordant le crédit). De plus, même s’il est vrai que la banque elle-même ne subit aucun dommage, le fait qu’elle ait un pouvoir de disposition sur le patrimoine de la caution et que ce patrimoine soit mis en danger même temporairement suffit à réaliser l’exigence du dommage au sens de l’art. 146 CP.

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